Présentiel, distanciel, numérique, digital. Tous ces termes sont désormais entrés, de manière quelque peu précipitée par la crise sanitaire, dans le jargon enseignant. Cependant, l’utilisation des nouvelles technologies dans les classes n’est pas toujours facile, pour les élèves comme pour les enseignants. Éclairage avec Margault Sacré, institutrice primaire de formation, diplômée d’un Master en sciences de l’éducation à l’ULiège, autrice d’une thèse sur les dispositifs hybrides dans l’enseignement supérieur et actuellement chercheuse à l’Université du Luxembourg.
Vous avez étudié l’utilisation des dispositifs hybrides dans l’enseignement. Une thématique qui s’est imposée à vous naturellement ?
« J’ai étudié les liens qui existent entre la motivation et la réussite dans les dispositifs hybrides d’enseignement, dans le supérieur. Quand je parle de dispositifs hybrides, je fais référence au mix entre les notions de présentiel et de distanciel, désormais entrées dans le langage courant. J’ai enseigné dans plusieurs écoles de la ville de Liège. C’est à partir de cette expérience que je me suis intéressée à ces enjeux et que j’en ai fait l’objet d’études et de recherches par la suite. »
La crise sanitaire a précipité l’utilisation du digital dans les apprentissages. Quels enseignements peuvent être tirés de cette période ?
« Avec le Covid, on a pu se rendre compte de défauts dans la formation des enseignants. C’est d’ailleurs eux qui nous ont fait remonter leurs expériences et leurs ressentis. Plus globalement, on a pu se rendre compte qu’implémenter le numérique dans les classes n’était pas toujours évident. Avoir un ordinateur ne suffit pas. »
Quels sont les fondements qui permettent une utilisation efficace des nouvelles technologies ?
« Tout d’abord, il faut se défaire d’un mythe bien trop répandu qui fait croire que l’utilisation d’outils numériques motive les élèves. Des études ont montré qu’après un certain temps, cette motivation se dissipe si elle n’est pas entretenue. La question de base à laquelle il faut trouver une réponse avant de se lancer est l’intérêt de l’usage de ces outils pour sa classe et comment ils peuvent améliorer les techniques d’apprentissage existantes. Utiliser le digital pour dire qu’on l’utilise ne sert à rien. Je ne suis d’ailleurs pas défenderesse du « tout au numérique ». »
Il faut donc voir l’arrivée de ces outils comme une complémentarité avec ce qui existe déjà et non comme une rupture ?
« Tout à fait. On ne remplace par un type d’enseignement par un autre. Les nouvelles technologies viennent soutenir l’enseignement. Elles facilitent l’accès aux ressources, elles augmentent l’autonomie des apprenants, la rapidité d’exécution. À l’école, on apprend à aller chercher l’information, la trier, la confronter. Ces compétences apprises peuvent être fixées avec l’utilisation des outils actuels. Un autre exemple : les tableaux interactifs rendent plus facile l’organisation de certaines activités qui étaient plus compliquées à mettre en place avant. »
Vous dites que cela augmente l’autonomie des apprenants. C’est donc positif pour mettre en place un enseignement différencié ?
« Oui car on peut, par exemple, revenir sur des notions moins bien comprises avec certains élèves tout en permettant à ceux qui ont plus facile d’aller plus loin. On assiste souvent à un tiraillement entre les deux. C’est d’ailleurs un questionnement fréquent des enseignants. L’énorme avantage est qu’on peut également adapter les documents aux troubles d’apprentissage. On peut envisager plus de couleurs, plus d’espace, de la lecture audio, … Toutes ces choses sont très difficiles à mettre en place sans les outils digitaux. »
L’autonomie est, selon vous, primordiale pour un apprentissage efficace ?
« Oui mais pas seulement. J’identifie trois notions. La première, c’est se sentir compétent. Quand je me sens compétent et à l’aise, j’ai envie d’apprendre, quel que soit l’âge. Ensuite, l’autonomie pousse à aller plus loin ou à revenir à une séquence. Avoir le choix de l’activité accroît la motivation. Et enfin, il faut être intégré socialement. C’est important de se sentir appartenir au groupe, à la classe, et de se sentir soutenu. On a pu le voir lors de la crise sanitaire, l’apprentissage en ligne peut parfois donner un sentiment d’isolement. On ne connaît pas les autres. Le cas se présente surtout dans les formations asynchrones, quand l’enseignement n’est pas donné en temps réel. Il est toujours plus facile d’apprendre quand il y a une présence sociale. Cela rejoint ce que je disais plus tôt, le « tout digital » n’est pas forcément la solution. »
Dans vos recherches, vous expliquez également les atouts de la gamification dans les apprentissages. De quoi s’agit-il ?
« La gamification, c’est appliquer les éléments du jeu vidéo dans les apprentissages. Ce qui est différent d’intégrer le jeu vidéo dans ceux-ci. Cela favorise les apprentissages. Pour être plus concrète, on peut par exemple citer l’utilisation de niveaux où l’apprenant devra passer de l’un à l’autre. L’obtention de badges en fonction de la réussite d’épreuves et un système de classements sont d’autres exemples. Un autre apport de la gamification est qu’elle permet de renforcer la persistance de la motivation. Ça rend l’apprentissage plus fun. Dans ce cadre, l’apprentissage peut également se faire par répétition ou par niveau grâce à ce type de dispositif. »
Il faut néanmoins souligner les effets pervers. Les inégalités, par exemple ?
« Les inégalités sont de plusieurs ordres. Il y a d’abord la fracture numérique face à l’accès aux outils. Mais il y a également les inégalités en termes de compétences. Il s’agit, là aussi, de faire tomber un mythe. On parle souvent des « digital natives », cette génération qui est née avec Internet et les outils numériques. Mais faire partie de cette génération ne suffit pas. Il ne faut pas penser que c’est naturel. L’utilisation de ces outils s’apprend. Il y a l’apprentissage de l’usage de l’appareil en tant que tel puis celui des logiciels. Ensuite, viennent les compétences stratégiques, c’est-à-dire la compréhension de ce qu’on réalise et pourquoi on le réalise. Ce qui est différent d’être capable de l’effectuer. Enfin, il y a aussi des disparités entre enseignants. D’après plusieurs enquêtes internationales TALIS (Teaching And Learning International Survey), seulement 30% des enseignants du secondaire inférieur en Belgique sont prêts à entrer dans un enseignement hybride. Souvent parce qu’ils ne se sentent pas suffisamment préparés. »
Il faut donc intégrer davantage ces aspects dans la formation initiale des enseignants ?
« Oui. C’est un bon moment pour acquérir les compétences de base. Il est important qu’ils soient bien informés sur les possibilités que peuvent offrir ces outils. Mais c’est surtout une volonté politique de mettre cela en place. Personnellement, durant mes études, j’ai appris le traitement de texte. Il faut aller bien au-delà. Il est primordial que les enseignants deviennent autonomes de sorte à transférer leurs compétences vers d’autres outils au fur et à mesure des développements qu’ils connaîtront. Avec une base solide, la formation continue en cours de carrière ne sera pas absolument indispensable. Même si elle sera nécessaire en fonction de l’arrivée de certaines choses comme la réalité virtuelle. Mais on n’y est pas encore… »